Les étranges médications de nos anciens

Publié le par mimi58

Berrichonnes Les étranges médications de nos anciens

Nos aïeux berrichons, et sans aucun doute leurs voisins de la Nièvre aussi, usaient de curieux remèdes pour soigner leurs différents maux… Mon père m’a parlé, un jour, d’une sorte de scapulaire, consistant en un morceau de camphre, que ma grand-mère faisait porter à ses enfants pour leur éviter les rhumes et autres fluxions de poitrine ! Mais, c’est dans les Mémoires de la Société Savante du Cher que j’ai découvert une communication du docteur Leprince relatant quelques procédés destinés au traitement des affections oculaires au tournant du XIXe siècle.

Mais, tout d’abord, un peu de vocabulaire. Pour le Berrichon de ce temps-là, il n’existe que quatre sortes de maladies des yeux : la « maille », les « pelisses », les « berouées » et les « envournements ». Pour qui n’a jamais vécu quelque peu en Berry, ces termes peuvent sembler bizarres, mais il s’agit simplement de mots de patois (nos linguistes favoris parleraient ici de « termes vernaculaires »)… Les envournements sont les maux les plus répandus, et qui n’en a pas encore eu en aura un jour, c’est fatal ! Il s’agit, en fait, d’étourdissements – des « tournements de tête » - et de brouillards qui passent devant les yeux. Les berouées ressemblent aux envournements puisqu’il s’agit, là aussi, de brouillards qui parfois se maintiennent. Médicalement parlant, presque toutes les affections inflammatoires de l’œil provoquent des berouées ! La maille, elle, désigne une kératose, c’est-à-dire un épaississement de la cornée, tandis que la pelisse désigne tout ce qui « couvre la vue », du simple leucome[1] à la cataracte. Bref, la croyance populaire veut que la pelisse soit « une peau que l’on a sur la lumière » ! Tout se résume donc à ces quatre possibilités, et pour le reste on a « la vue basse » ou la vue qui a baissé… 

Comment soignait-on ces divers maux, en un temps où l’assurance sociale n’existait pas ? On faisait tout simplement appel aux remèdes de bonnes femmes qu’on préparait soi-même ou qu’on demandait à une « panseuse ». Je suppose qu’on ne consultait le médecin qu’à toute extrémité. oculiste

Pour aider les petits enfants à « s’arœiller », c’est-à-dire à bien ouvrir les yeux, il existe un procédé simple et qui ne présente aucun danger. Il n’a jamais guéri personne, d’ailleurs, mais en définitive, ce n’est pas plus mal : on fait porter au petit malade des boucles d’oreilles ou un collier d’ambre.

Le remède universel, à cette époque, est la « mouche », vésicatoire[2] appliqué au bras. Quel rapport entre le bras et les yeux? Je l’ignore ! Mais la médecine chinoise nous enseigne que l’on peut découvrir les maladies d’un patient en observant la plante de ses pieds… Alors…

Si la « mouche » échoue, il existe des lotions à base de fleurs ou de plantes, bleuet, rose, camomille, ou encore l’eau boriquée. Ces préparations se révèlent efficaces sur les conjonctivites légères, car on les utilise à chaud, et que l’on fait bouillir l’eau dans laquelle les plantes vont infuser ou macérer. Parfois, on ajoute à ces lotions quelques gouttes de sulfate de zinc, mais dans certains cas, cela peut entraîner de véritables catastrophes, le sulfate de zinc étant contre-indiqué dans certaines affections !

A côté de ces remèdes, finalement peu efficaces, mais sans grand danger, il existe toute une pharmacopée que je qualifierai de « folklorique » et dont je vous livre une courte liste :

·         Vin blanc mélangé d’eau-de-vie en application (pour les conjonctivites)

·         Blanc d’œuf battu avec de la pierre d’alun jusqu’à ce qu’il prenne la consistance d’une pommade

·         « Eau de neige » sur laquelle la lune a donné

·         Moelle de pomme cuite délayée dans du lait et un peu de safran

·         Mélange de deux cuillères de vin blanc et d’une cuillère d’eau de rose (pour les démangeaisons)

·         Huile de noix aussi vieille que possible - bien rance, alors ! – (pour les fistules lacrymales[3])

·         Instillation, dans l’œil atteint, du sang de l’aile d’un pigeon ou d’une tourterelle (contre les traumatismes et les taches)

·         Application, sur l’œil malade, d’un pigeon qui vient de naître (dans les cas d’ophtalmie du nouveau-né)

·         Eau de tabac (contre la cataracte, les taches et les ulcères)

La cataracte se soigne aussi avec de l’eau de miel, une décoction d’antimoine dans du vin blanc, ou du suc d’oignon mélangé avec du miel.

Dans les cas d’ulcères, on utilise un mélange de fiel avec de l’eau de rose ou de souci. Selon la gravité, on utilisera du fiel de poisson, du fiel de quadrupède dans les cas plus sérieux, et du fiel d’oiseau pour les cas les plus inquiétants.

Pour améliorer sa vue, il est conseillé de consommer le matin, à jeun, de la rue crue avec du sel, et pour ceux qui ont la vue basse, ils doivent manger du chou en quantité !

Le docteur Leprince, auteur du mémoire que j’ai consulté, ironise à juste titre sur ces remèdes plus ou moins farfelus, et il regrette l’emploi trop fréquent du vin blanc et de l’eau-de-vie qui ne peuvent qu’irriter un œil déjà malade… Il note même, avec effroi, l’emploi par certains, d’urine !

Il existe également deux remèdes très déconcertants : le fromage blanc et la tranche de veau. On dit, aujourd’hui encore, qu’il est bon de s’appliquer une tranche de veau sur l’œil lorsqu’on y a reçu un coup… Mais, je doute de l’efficacité de la chose. Le docteur Leprince, ayant découvert l’un de ses patients muni de cet emplâtre, lui conseilla plutôt de le manger. Quant au fromage blanc, mieux vaut le déguster !

Finalement, si tout cela échoue, il reste les pratiques magiques : on se rend chez le persigneux[4] ou la panseuse[5], qui par des formules cabalistiques vous guérissent en moins de deux. Et, il me semble bien que notre docteur devait être un incrédule, car, s’il ironise sur les préparations plus ou moins étranges et parfois dangereuses, utilisées dans nos campagnes, il ironise encore davantage sur la naïveté de ceux qui se confient à ces guérisseurs, qu’il qualifie d’exploiteurs.

 

La lecture du mémoire de ce médecin m’a amusée, et en même temps effarée, et je me suis demandé comment il se faisait qu’on n’ait pas trouvé, dans nos campagnes, davantage de malvoyants ou de non-voyants, suite à ces traitements si peu fiables ! Ce mémoire se conclut, cependant, sur l’espoir que l’instruction se répandra parmi les populations locales, leur permettant d’abandonner leurs pratiques d’un autre âge !

Sources :

Mémoires de la Société Historique, Littéraire et Scientifique du Cher, 1901, 4ème série, 16èmevolume.

Glossaire du parler populaire local Centre-Berry - Jean-Baptiste Luron               http://www.gilblog.fr/petit-dictionnaire-berricho/

Illustration 1 trouvée sur le blog de Herry : http://librherry.canalblog.com/archives/2010/01/22/16618690.html

Illustration 2 : Honoré Daumier

 


[1]PATHOL. Tache blanche de la cornée transparente de l'œil provoquée par une plaie ou une ulcération. Synon. taie. On observe une ulcération de la cornée qui peut laisser un leucome après cicatrisation (BRUMPT, Parasitol., 1910, p. 811).

[2]Sorte d’emplâtre

[3]Lésion du coin de l’œil d’où sortent les larmes

[4]Personne qui soigne par des prières et des signes de croix

[5]Personne qui fait appel à des sciences occultes et des formules secrètes pour soigner les malades

Publié dans Histoire locale

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J
super
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